Au lendemain des élections provinciales, l’un des participants au projet Citoyen(ne)s du monde et de chez nous, Danik Labrecque, souhaitait partager une réflexion engagée à mi-chemin entre la prose poétique et la nouvelle littéraire. Danik réfléchit ici, à partir de son vécu et de ses engagements personnels, au désintéressement de la population envers la politique. Il transforme un constat affligeant en puissante évocation de l’absurde de notre situation.
J’ai essayé pas mal d’échappatoires avant d’arriver ici, sur cette plage bondée d’inconnus qui m’observent me pavaner en gougounes avec mes nombreux coups de soleil. Contrairement à ce qu’ils pensent, je ne viens pas pour me ressourcer dans l’eau, mais plutôt pour profiter du sable chaud. Je choisis l’emplacement libre le plus adéquat et je m’y plonge la tête sans même y creuser un trou. Ça fait mal, je passe proche de me casser le cou, mais peu à peu, je réussis à y enfouir mes cheveux, puis mon front, jusqu’à ne rien voir et ne rien entendre. Le néant compacté dans ma face prend le contrôle de tous mes sens.
Toute la distorsion de la ville avoisinante qui me perçait les tympans s’est enfin estompée. Le calme après la tempête des réalités plus absurdes les unes que les autres. Je n’en pouvais plus de la vie, j’avais besoin d’une pause. Je pensais blottir mon crâne dans la terre pendant quelques heures, mais j’y reste pour plusieurs jours. Mon geste attire les gens vers moi. Certains tirent sur mes jambes sans réussir à m’extirper du sol. D’autres viennent se planter la tête à mes côtés pour essayer de me parler dans le sable, mais je n’entends que des vibrations. Même si je ne leur réponds pas, ils restent. Probablement parce qu’ils s’y sentent bien eux aussi. De toute façon, je n’aurais rien à leur dire. Peut-être qu’ils veulent créer un mouvement en me suivant dans l’immobilité, mais tout ce que je veux, c’est m’évader de la vie sans la quitter.
Les sauveteurs nous laissent à nous-mêmes, car nous ne nous noyons que figurativement. Surtout que nous devons être profitables pour eux. Je nous imagine devenir un attrait touristique : « Venez voir la plage aux autruches humaines ! Testez le confort de notre sable local ! »
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Les jours vont s’allonger en semaines, puis en mois, puis en années. Même en hiver, la plage va pouvoir rester ouverte et les jeunes bronzés conserveront leur emploi. Ils pourront décorer ce qu’il reste de nous en dehors du sable, quand les fêtes vont venir faire croire aux gens que tout va bien et qu’ils devraient continuer de se retrouver dans notre perte.
L’augmentation exponentielle et inattendue de partisans à ma cause dans toutes les plages du Québec va créer de nouveaux enjeux qui vont animer les débats des citoyens avec la tête hors-terre : « Pour quel parti vont-ils voter aux élections? Est-ce qu’ils croient au réchauffement climatique et aux GES? Est-ce qu’ils ont investi dans des actions et attendent qu’elles fluctuent pour en ressortir riches? Pour ou contre le troisième lien? Croient-ils au retour des Nordiques? »
Quand je reviendrai au monde réel, je vais passer pour un imposteur sans être au courant qu’on prétendait que je savais quelque chose sur quoi que ce soit. Mes premières bouffées d’air vont m’étouffer et me donner envie de retourner où j’étais. J’aurai les yeux aveuglés par les lumières accusatrices des appareils photos dénonciateurs.
Je vais avancer dans la foule qui préférait me voir reculer. Je vais persévérer malgré le fait que je venais de tout abandonner. J’avais besoin d’un petit coma forcé pour me guérir de la maladie de la performance. Ça a l’air qu’on s’attendait tout de même à un rendement, que ça rapporte quelque chose à des inconnus qui ne m’avaient rien demandé au départ.
Je ne répondrai pas aux plaintes. Je laisserai en suspens la confusion générale. Pendant que le monde se sera fié à son interprétation de mon jugement, il sera distrait et inconscient de la vraie question qu’il aurait dû se poser : qui avait vraiment la tête dans le sable?