Laurence Primeau et Kilyan Bonnetti – Suggestions de nos libraires – Librairie Poirier – Novembre 2021
Le fantôme de Suzuko, Vincent Brault
Quelques mois après le décès tragique de son amoureuse, Suzuko, Vincent décide de quitter Montréal pour retourner au Japon. Installé pour une seconde fois dans leur appartement initial, il reprend tant bien que mal l’écriture du roman qu’il avait entamé à l’époque de sa rencontre avec Suzuko. Il recommence aussi à fréquenter les galeries d’art contemporain ainsi que les artistes qu’il avait l’habitude de côtoyer auparavant. C’est dans l’une de ces soirées qu’il rencontre Kana, une charmante jeune femme aux paupières écarlates. Mystère, qui aux yeux du narrateur, la rend d’autant plus séduisante. Les frontières entre le fantasme et la réalité commencent alors à se brouiller, se perdant dans les « hôtel d’amour » (love hotels), les bars clandestins de Tokyo et les performances artistiques dignes du cinéma d’horreur japonais.
Entre les errances du fantôme de Suzuko, les animaux empaillés et les tremblements de terre qui semblent n’avoir lieu que dans l’esprit du narrateur, le lecteur est plongé dans une agréable étrangeté, une incohérence esthétique. Le troisième roman de Vincent Brault se présente comme une autofiction intrigante, où la sensualité se mêle singulièrement au deuil et où le fantastique coule doucement au rythme du fleuve Sumida.
Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec, Vanessa Bell et Catherine Cormier–Larose
Faisant suite à l’anthologie publiée par Nicole Brossard et Lisette Girouard aux éditions Remue-ménage en 1991, ce nouveau recueil regroupe les poètes ayant publié dans les cinquante dernières années, en privilégiant celles qui ont émergé depuis les années 2000.
La préface nous expose les tendances et les thèmes récurrents de la poésie des femmes à partir des années 70 jusqu’à aujourd’hui de même que plusieurs statistiques encourageantes concernant le marché. Les textes présentant chacune des poétesses sont aussi écrits de façon poétique et littéraire, ce qui s’agence bien aux extraits sélectionnés. Au-delà de la mise en forme, ce recueil se distingue par son éclectisme : on y retrouve des plumes acérées, assez provocantes (trash), telles que Marjolaine Beauchamp et Marie Darsigny, tout comme des styles plus sobres et conventionnels, notamment chez Carole David et Chantal Neveu.
L’anthologie se démarque aussi de ce qui a été fait auparavant par son souci de représentation et d’inclusion. Une grande place est accordée aux poètes issues des Premières Nations ou de groupes racisés de façon générale (Natasha Kanapé Fontaine, Joséphine Bacon, Elkahna Talbi, Nada Sattouf, etc.) ainsi que du spectre LGBTQ+. Cette visée intersectionnelle et féministe fait de ce recueil une belle entrée en matière pour les lecteurs et lectrices qui n’ont pas encore été introduits au genre poétique ou pour ceux et celles qui désirent découvrir de nouvelles autrices.
Tableau final de l’amour, Larry Tremblay
Dans ce fabuleux roman à l’allure de récit, nous suivons la passion amoureuse qui anima le célèbre peintre Francis Bacon et un truand des bas-fonds dénommé George Dyer. Le livre Tableau final de l’amour n’est pourtant pas qu’une brève histoire de couple, il constitue une immersion dans l’œuvre de Bacon, remplie de tourments et de chairs angoissantes, mais il révèle surtout un regard froid sur l’être humain traumatisé par les images et l’expérience de ses propres folies relatives à la guerre. Montagnes squelettiques. Corps déchirés, broyés. Sillons de larmes sur des visages noyés dans la mort. L’art ne peut y rester ni sourd ni aveugle. Pour Bacon, l’existence doit donc passer par un absolu, celui de l’amour sans mesure ni retour possible. Combattre la folie par le feu. Aimer le feu par le corps et l’abandon. Un livre choc à la fois tendre et brutal, mais résolument beau.