Jean-Claude Landry – février 2020
Serge a aidé ses parents à programmer la cafetière « connectée » qu’on leur a offerte. Le lendemain, alors qu’il consultait un site d’information, une publicité de café apparaît à l’écran de son portable. Amélie s’est procuré une boîte de mini-menthes TIC TAC à la pharmacie de son quartier. Dans les jours suivants, elle navigue sur le Web et voilà qu’elle est inopinément invitée à faire l’essai des New Frosty Mints du fabricant de la célèbre petite dragée. Perplexes, nos deux internautes s’interrogent : est-ce qu’on les épie à distance ?
Cette interrogation légitime est devenue un enjeu de société. Devenons-nous progressivement les « instruments » des GAFA de ce monde (Google, Amazon, Facebook et Apple) ? C’est ce que soutient Shoshana Zuboff dans le livre The age of surveillance capitalism, publié aux États-Unis en janvier 2019.
L’auteur, professeure émérite à la Harvard Business School, y affirme que « les capitalistes de surveillance » veulent tout savoir sur nous. Ils y parviennent en recueillant de façon intrusive des informations révélant les aspects les plus intimes de notre quotidien, entre autres via l’enregistrement de nos conversations personnelles, de nos déplacements, la compilation des paramètres et résultats de nos séances d’entraînement, les données recueillies par l’entremise de nos appareils ménagers. Pour madame Zuboff, l’industrie numérique doit sa prospérité exceptionnelle à l’extraction des données personnelles des utilisateurs de services ou d’appareils en ligne. Ces données contribuent à définir des prédictions de comportement, lesquelles sont proposées à l’industrie du marketing.

Assistant vocal – Crédits photo : Dominic Bérubé
La vogue des assistants vocaux, ces sympathiques appareils « branchés » conçus, dit-on, pour nous « faciliter la vie », s’inscrit dans cette tendance. Le « monitorage » – parfois même non autorisé – des conversations personnelles facilite la collecte d’une foule d’informations personnelles. En fait, vos paroles, vos faits et gestes valent de l’or.
Faire usage des appareils et services « connectés », c’est donc accepter, par défaut, de se dévoiler. Montres et téléphones intelligents, assistants vocaux, réseaux sociaux, services de géolocalisation, GPS, la panoplie des modes de collecte des données personnelles ne cesse de s’accroître. En principe, toute collecte doit être autorisée par la personne utilisatrice, comme le mentionnent les conditions générales d’utilisation de tout appareil ou service. À preuve, cette petite case qu’il faut cocher et qu’on retrouve souvent au bas d’un long, très long texte déroulant que, il faut le reconnaître, peu de gens s’astreignent à lire.
Faut-il s’inquiéter de cette situation ? Oui et non. Certaines personnes redoutent une telle intrusion dans leur vie privée. D’autres, affirmant « n’avoir rien à cacher », considèrent que les services rendus l’emportent amplement sur les inconvénients.
Il demeure qu’on s’interroge de plus en plus sur les pratiques de « monitorage » des GAFA. Tout ce qu’on recueille fait-il l’objet d’une autorisation préalable ? La réponse de l’industrie à cette question est plutôt ambiguë. En 2015, le site spécialisé Privacy News Online publiait que Google écoutait des conversations sans y avoir été préalablement autorisé, ce que le géant du Web a reconnu, en justifiant cette pratique par un souci d’amélioration continue de son système d’intelligence artificielle.
En janvier 2018, on pouvait lire sur le blog Urbania qu’Amazon avait « déposé un brevet qui permettrait [à son assistant vocal Alexa] d’identifier les personnes dans une pièce et de capter des bouts de phrases comme “ pour ensuite leur offrir de la publicité ciblée ».
L’intention d’Amazon a non seulement le mérite d’être claire et d’exprimer clairement une nouvelle réalité économique : Serge et Amélie ont maintenant une valeur marchande. Selon un slogan circulant sur le Web, « si le produit est gratuit, c’est que vous êtes le produit ».